Pour les journées européennes du patrimoine 2025, la médiathèque Etienne Caux expose une maquette de navire donnée par un particulier à la ville de Saint-Nazaire. Ce remarquable objet entre dans les collections de la médiathèque et sera, après restauration, visible de façon permanente au rez-de-chaussée de l'établissement . L'occasion d'explorer ici les ressources maritimes que recèle cette institution nazairienne.


Une frégate témoin de l'âge d'or de la marine française
La nouvelle venue dans les collections ne manque pas d'allure. Cette maquette d'étude de la fin du XVIIIᵉ siècle représente une frégate de XII percée à 13 — autrement dit, un navire de guerre armé de 32 canons, dont 26 tirant des boulets de 12 livres. Ces frégates, véritables joyaux de l'ingénierie navale française, furent construites à près de 70 exemplaires entre 1748 et 1797. Parmi ses illustres sœurs, citons la Belle Poule (1765), la Boudeuse (1766), qui accompagna Bougainville dans son tour du monde, ou encore la célèbre Hermione (1779), qui porta La Fayette vers l'Amérique. La maquette, avec son gréement caractéristique des années 1780-1790 et sa poupe en fer à cheval au décor néo-classique, témoigne de cette période faste de la construction navale française.



Un trésor né des cendres
L'histoire de ces collections maritimes commence paradoxalement par une tragédie. En février 1943, la bibliothèque de Saint-Nazaire disparaît sous les bombardements. Mais de cette destruction naîtra une renaissance remarquable.
Dans l'immédiat après-guerre, Pierre Fleury, le bibliothécaire, et Pierre Lelièvre, inspecteur des bibliothèques et ancien directeur de la bibliothèque de Nantes, entreprennent de reconstituer une « bibliothèque idéale » dans l'esprit des Lumières. Dons généreux, achats d'occasion — notamment des ouvrages du château de Bellaly à Malville, incendié par les Allemands en 1944 — permettent de constituer un premier fonds.
Aujourd'hui, une simple recherche au mot « marine » révèle près de 3 000 documents, dont 560 dans les réserves et 200 dans le fonds régional. Mais le plus fascinant reste à découvrir : entre 20 000 et 30 000 documents non catalogués dorment encore dans nos quatre niveaux de réserves.


Voyages au long cours dans nos collections
Depuis 2023, les ouvrages antérieurs à 1830 constituent le fonds ancien de la médiathèque. En lien avec la mer, citons la présence d’un Dictionnaire de la marine française de 1813, couvert d'annotations manuscrites, témoin d'une lecture attentive par son propriétaire, ou encore L'Abrégé de l'histoire générale des voyages de De La Harpe, édité en 1780 en 21 volumes, dont les derniers tomes relatent les expéditions de James Cook et Louis-Antoine de Bougainville.
Mais c’est aussi le remarquable le Voyage au Levant de Corneille Le Brun, dans une édition de 1725 en trois volumes avec des cartes et gravures de ports et rivages.


Quand la mer inspire les artistes
Le XIXᵉ siècle voit naître une véritable mode du récit maritime, et nos collections en témoignent magnifiquement. Les éditeurs rivalisent d'ingéniosité pour séduire : L'Histoire d'un paquebot de Louis Tillier et Paul Bonnetain (vers 1890) arbore une couverture représentant un paquebot plongé dans le bleu de la nuit, tandis que Le Littoral de la France de Valentine Vattier d'Ambroyse (1886) séduit par ses six volumes aux dos et couvertures polychromes, dorés et argentés.
Ce goût pour l'aventure maritime traverse les siècles, des romans du XIXᵉ aux récits de la Seconde Guerre mondiale des années 1940-1950, incluant même des ouvrages destinés à la jeunesse.


Saint-Nazaire : d'un port sans navires à un géant industriel
Le fonds régional et local de la médiathèque raconte une transformation spectaculaire. En 1853, Amédée Gréhan consacre quatre tomes à la France maritime. De Saint-Nazaire, il dresse alors un portrait peu flatteur : « Saint-Nazaire, dont le petit port est sans importance, l'histoire sans relief, les produits sans attraits, l'aspect sans vie et l'avenir sans espérance ». Paradoxalement, sa présentation s'accompagne d'une gravure représentant un navire quittant l'embouchure de la Loire – comme un présage de l'avenir industriel de la cité.
Tout change à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec l'installation des chantiers navals. Les publications font désormais une large place à Saint-Nazaire qui connaît un développement spectaculaire : beaux livres, études techniques et brochures documentent cette épopée industrielle des années 1890 jusqu'à aujourd'hui.




La bibliothèque des bâtisseurs de navires
Depuis 1973, la médiathèque dispose du don de la bibliothèque technique des Chantiers de l'Atlantique. Ouvrages en français et en anglais d'ingénierie navale, comme Marine Engineering (1947) ou Ship Design, Resistance and Screw Propulsion de G.S. Baker (1915), côtoient d’importantes collections de revues spécialisées des années 1900-1970 comme Le Bulletin de l'association technique maritime et aéronautique ou Transactions of the Institution of Naval Architects.
Cette collection témoigne de l'excellence technique qui fait encore aujourd'hui la réputation mondiale des chantiers nazairiens.


Spécialisation régionale dans la conservation
La médiathèque joue un rôle de conservation à l'échelle régionale pour le Journal de la marine marchande et ses publications associées. Grâce aux dons de la bibliothèque municipale de Nantes, la médiathèque a pu combler quelques lacunes et offrir une collection complète depuis 1945 sur cette référence du secteur maritime.



Un patrimoine vivant en constante évolution
Entre 1989 et 2010, la médiathèque disposait d'un rayon entier en libre accès consacré aux ouvrages sur la mer. Aujourd'hui réorganisées, ces collections révèlent encore des merveilles, notamment une dizaine de réimpressions modernes en fac-similé d'ouvrages de référence : Les Éléments de l'architecture navale de Duhamel de Monceau (réédition 1970 de l'original de 1752), le Traité élémentaire de la mâture des vaisseaux de Pierre-Alexandre-Laurent Forfait (fac-similé 1979 de l'édition de 1788), ou encore L'Art de naviguer de Pierre de Médine dont la première édition française date de 1553.




Une invitation permanente au voyage
Avec l'arrivée de cette maquette de frégate du XVIIIe siècle, la médiathèque Étienne Caux enrichit un patrimoine maritime d'une richesse insoupçonnée. De la renaissance post-1945 aux acquisitions contemporaines, ces collections racontent trois siècles d'aventure maritime et d'épopée industrielle nazairienne.
La maquette restaurée, bientôt visible au rez-de-chaussée, invitera chaque visiteur à un voyage dans le temps, entre les ponts de ces frégates qui portèrent la grandeur de la marine française aux quatre coins du monde. Les collections des réserves sont visitables sur rendez-vous pour les Journées européennes du Patrimoine (septembre) et les Nuits des bibliothèques (janvier).





